En pleine saison estivale, certains sites naturels français fragiles ont décidé de limiter drastiquement leur fréquentation. Très appréciés des touristes, les calanques de Marseille ou l’île de Porquerolles au large de Hyères, imposent désormais une pré-réservation aux visiteurs. En cause, le phénomène du sur-tourisme qui inquiète les habitants et compromet certains des plus beaux endroits de la planète. Quotas, réservations, entrées payantes, autant de restrictions sont envisagées, mais sont-elles compatibles avec la nécessité d’augmenter les recettes économiques ? Dans l’émission « 28 minutes » d’ARTE du 17 août, les invités s’interrogent sur la pertinence de limiter l’accès aux sites les plus fréquentés.

ARTE « 28 minutes » – 17/08/22

Invités :

  • Philippe Duhamel (professeur de géographie à l’université d’Angers et directeur du groupement d’intérêt scientifique études touristiques)
  • Gilles Caire (économiste à l’université de Poitiers, spécialisé en économie sociale et solidaire & économie touristique)
  • Virginie Gendrot (consultante Protourisme)

Sur les cinq 1ers mois de l’année 2022, les arrivées internationales de tourisme ont augmenté de 225% par rapport à 2021 (contexte de crise sanitaire). 250 millions d’arrivées touristiques contre 70 millions en 2021 (OMT) > le monde d’avant ressemble beaucoup au monde d’avant. On retrouve cet été de nouveau les standards des saisons précédant le covid avec un bon de mois de juillet mais contrasté selon les régions et un excellent mois d’août, avec des Français qui repartent en vacances à l’étranger (1/4 des Français ; 35% des CSP+) et des étrangers qui reviennent en France.

Le tourisme pèse sur l’économie française puisqu’il génère 9,5% des emplois. La croissance du tourisme ne fait que commencer. L’enjeu est de savoir comment, dans un monde qui devient tout touristique,  va-t-on faire pour accueillir de plus en plus de personnes dans ces lieux touristiques fortement fréquentés. Comment va-t-on cohabiter ?

Quelles conséquences du tourisme de masse sur le quotidien, sur les services publics (ex : épuration et traitement de l’eau, les hôpitaux…), est-on adapté à cet afflux actuel et à venir ?

Harold Goodwin, spécialiste du Tourisme durable (Leeds Beckett University) : «  Le tourisme de masse est un phénomène mondial qui va malheureusement empirer. Avec le surtourisme, les touristes finissent par penser que les endroits qu’ils visitent sont trop bondés. iIs ont l’impression que les lieux perdent leur authenticité et les habitants locaux sont excédés par les désagréments provoqués par cette affluence »

Le surtourisme, qui ne concerne que quelques lieux, a une connotation négative. Pourtant, le tourisme participe à l’attractivité de la France et à son dynamisme économique. Parlons plutôt de pics de fréquentation limités dans le temps et dans l’espace, avec une obligation pour les acteurs publics de gérer ces flux touristiques. 90% du territoire français est déserté par le tourisme. Il convient pour les offices de tourisme de promouvoir les sites secondaires pour mieux diffuser les flux touristiques.  Au-delà  de la dimension spatiale, il y a aussi la dimension temporelle. Il est parfois difficile de gérer car cet afflux de personnes peut être imprévisible. Si on prend l’exemple des destinations « surf », il suffit qu’il y ait de bonnes conditions météorologiques pour qu’en moins de 48h, un afflux de visiteurs débarquent sur ces plages et provoquent un pic d’hyper fréquentation. Anticiper, réguler n’est donc pas toujours possible.

Des territoires ont investi pour bien accueillir ces visiteurs. De plus en plus de territoires se sont emparés du sujet comme l’île de Porquerolles, Etretat, le Golfe du Morbihan, l’île de Houat… Les acteurs publics se mobilisent pour s’assurer que les services de base soient correctement mis en place afin de préserver le tourisme de demain ; un touriste déçu est un visiteur qui ne reviendra pas et qui en parlera autour de lui ; l’expérience client est fondamentale. « Il y a encore des marges de progrès dans certains territoires en termes d’investissement (infrastructures, équipements et services publics), surtout si on se compare à d’autres destinations étrangères comme les Etats-Unis ou la Thaïlande », Virginie Gendrot. « Réguler c’est préserver la biodiversité pour les générations futures et notre attractivité touristique. Les visiteurs viennent en France notamment pour le caractère exceptionnel de notre patrimoine naturel et culturel. Ne pas protéger ces sites revient à scier la branche de l’arbre sur laquelle on est assis ».

Les plateformes comme Air BNB contribuent au développement du tourisme de masse en démocratisant/favorisant la location entre particuliers. Dans certaines destinations urbaines, ce phénomène peut créer des conflits avec les habitants (impact sur le prix de l’immobilier, partage de l’espace). Pour la 1ère fois en 2019, les nuitées touristiques générées par ces plateformes (235 millions) ont dépassé la totalité des nuitées touristiques générées par les hôtels (215 millions).  

Les séries provoquent un nouveau tourisme

Emelyne in Paris, le falaises d’Etretat avec la série Lupin, les petits mouchoirs pour le cap Ferret, les Ch’tis pour les Hauts de France, le Bonheur est dans le pré dans le Gers, Dubrovnik avec Games of Thrones…. Les films et séries ont un impact sur la notoriété et la fréquentation touristique. C’est pourquoi de nombreux Comité régionaux du tourisme ont des bureaux de tournage ; ils contribuent à la promotion touristique des territoires.

Des idées ? des solutions ?

  • Opération de démarketing (cad dissuader les visiteurs de venir en publiant des photos de plage ou de calanques bondées)
  • des pré-réservations. (ex : parcs nationaux Etats-Unis ou le Capitol)
  • des péages (ex : Venise, envisagé en janvier 2023 > entre 3 à 10€ par personne à partir de 6 ans)
  • jauges (ex : l’île de Porquerolles ou le parc du Mercantour)
  • quotas de CO2 pour limiter les déplacements (10% des touristes français consomment 60% des émissions du CO2 touristique en effectuant des vols longue distance régulièrement)
  • limitation du nombre d’heures de vol par an ou du nombre d’heures sur site (ex : Mitsou pitchou
  • des itinéraires bis (ex : waze)
  • des répliques pour conserver un patrimoine (ex : la grotte Chauvet ou de Lascaux, l’Acropole)
  • actions de communication qui recommandent d’autres sites touristiques secondaires (ex : Dunes du Pilat)
  • fermeture de site  sur des périodes plus ou moins longues afin de laisser la biodiversité se régénérer (ex : les grands sites de France ou la plage en Thaïlande du film « La plage » fermée pendant 3 ans, réouverte en janvier 2022 mais avec une jauge de 450 personnes maximum).

Réguler par les prix pose la question fondamentale de l’accessibilité des sites, des espaces publics. « Une ville, une plage, un site naturel doivent être ouverts à tous ; ce sont des espaces de liberté » Philippe Duhamel. « Les acteurs du tourisme doivent cependant s’adapter. Les touristes s’adapteront également en sachant qu’ils sont plutôt satisfaits de ces mesures restrictives. Réguler par les prix entraîne de fait une discrimination sociale ; ce sont les personnes les plus aisées qui vont en profiter ».

« Cela renvoie à la capacité de charge des sites », Gilles Caire. « La difficulté est de déterminer le seuil d’acceptabilité environnementale et sociale. Fermer une plage c’est la fermer aussi pour la population locale. Ce n’est pas qu’une fermeture pour les touristes. Il faut faire attention à ne pas fermer à tout le monde de la même manière. C’est le cas à Venise : les habitants locaux sont exemptés de péage. Il existe une trentaine de cas d’exonération pour éviter de mettre tout le monde dans le même panier ».

Ecosystème blessé, infrastructures publiques abîmées mais vrai bénéfice pour les économies locales, le tourisme de masse représente un concentré des contradictions de notre époque.