Les réservations pour la montagne semblaient bien parties au début de la saison mais il y a une grande absente pour ces vacances de fin d’année : la neige. Il fait beaucoup trop doux ; seulement 40% des pistes sont ouvertes en moyenne actuellement dans les stations de ski. Quelles conséquences pour les professionnels du tourisme ? Comment s’adaptent-ils ? Quelles perspectives à court et moyen terme ?

Télématin France 2 – 29.12.22

La douceur météo que nous connaissons actuellement nous renvoie à ce que nous sommes : des êtres dépendants de la nature et donc de la météo. De manière générale, le secteur du tourisme est toujours dépendant de la météo. Quand il n’y a pas de vague, il n’y a pas de surf ; quand il n’y a pas de vent, il n’y a pas de planche à voile ; quand il n’y a pas de neige, il n’y a pas de ski alpin.

Avant qu’il y ait de la neige de culture, on était habitué à ce que les saisons commencent parfois en janvier, à ce qu’il y ait des « années à neige » ou pas. Selon Météo France, le taux d’enneigement a baissé de 20 à 40% depuis la fin des années 1980. La tendance d’enneigement est à la baisse et le restera (en 2040, il faut s’attendre à avoir 1 mois d’enneigement en moins). C’est une réalité : en dessous de 1800m, les stations ne pourront pas compter sur le seul enneigement pour proposer de belles expériences aux vacanciers. Certaines stations ont déjà franchi le cap de la transition, de la diversification, de la multi activités comme le Massif du Sancy. La crise sanitaire a permis d’accélérer cette transition. Pour rappel, au sortir du covid, il n’y avait pas de remontées mécaniques par décision du gouvernement. Beaucoup ont alors découvert la montagne autrement (pleine nature, VTT avec assistance électrique, bien-être….), ce qu’ils n’auraient pas fait s’ils avaient fait du ski.

Les conséquences du faible enneigement

La moitié des stations sont fermées, ou ouvertes partiellement. Dans les stations pyrénéennes, seules 40% des pistes sont ouvertes par exemple.

Les vacances de fin d’année (Noel & jour de l’an) représentent environ 25% du chiffre d’affaires de la saison hivernale. L’hiver, 82% du CA provient du ski. Certains professionnels ont eu des annulations de dernière minute. On enregistre un retard de CA en cette fin d’année. Pour certaines stations, il n’ y a aucun retard (comme La Clusaz en Haute Savoie par exemple, dont le taux de remplissage est de 76% fin décembre), mais pour d’autres, ce retard peut atteindre jusqu’à -30%. Le bilan diffère selon la typologie des stations et le niveau d’enneigement. Il n’ y a pas UN modèle de station de montagne > il existe une grande diversité de stations (pied de piste, village, plaine…). Les acteurs les plus impactés sont les professionnels des remontées mécaniques, d’autant plus quand les stations sont fermées. La prise de conscience pour accélérer le process de transition/diversification est réelle.

Le faible enneigement a un impact sur l’emploi. Certains professionnels ont mis leurs salariés au chômage partiel quand d’autres ont décidé de retarder la date d’embauche. Pour information, 120 000 emplois directs et indirects sont impactés par l’ouverture des stations de ski, dont 18 à 20 000 saisonniers l’an dernier. On compte 2 fois plus de saisonniers l’hiver que l’été. L’enjeu, par rapport au réchauffement climatique, est de s’adapter, d’avoir plusieurs cordes à son arc quand on travaille en station de montagne : peut-être faut-il former les salariés à pratiquer/enseigner différentes activités en fonction des conditions météorologiques ?

De manière générale, le recrutement dans le secteur du tourisme est très problématique. La question du logement saisonnier est cruciale. Les professionnels qui logent leurs saisonniers rencontrent moins de difficultés. Il faut prévoir des logements saisonniers pour tout futur projet de construction. « Chez Protourisme, quand on travaille sur la création d’un hébergement touristique, on intègre toujours des logements confortables et en nombre suffisant pour les saisonniers. Cela permet de faciliter le recrutement, même si cela ne résout pas tout« .

Les stations de ski s’adaptent

Face au faible enneigement, certaines stations ont décidé de reporter la date d’ouverture des pistes et des remontées mécaniques, en particulier dans les stations de moyenne altitude. Il n’est pas rare que la saison commence parfois en janvier comme l’an dernier, mais se termine aussi plus tard (mars).

Pour les stations dont l’ouverture est partielle, certaines ont choisi de réduire le prix des forfaits. D’autres ont davantage mis en avant le ski de fond qui demande moins de neige, comme dans le Vercors.

Enfin, la grande tendance depuis quelques années est de diversifier l’offre touristique. Il est essentiel que les stations proposent de la multi activités, comme certaines destinations l’ont déjà fait, car les gens ne viennent pas uniquement pour skier. Selon la DGE, une partie de la population qui part en vacances à la montagne l’hiver fait autre chose que le ski : 64% pratiquent la marche, 59% le ski et 47% la luge. Les activités de pleine nature ont le vent en poupe comme le trail ou le VTT électrique, les balades en raquette, les chiens de traineaux, les randonnées avec guide de haute montagne. La tendance est à la micro-aventure ; pas besoin de partir à l’autre bout du monde pour vivre des expériences extraordinaires.  Dans les Alpes par exemple, on peut faire une balade nocturne en famille avec nuit dans un igloo à manger une fondue savoyarde (ou en tipi selon la météo….). Dans les Pyrénées, certains guides nature proposent des escapes games quand il n’y a pas de neige pour découvrir la faune et la flore ou encore des randonnées en raquettes avec chamallows grillés au sommet, après avoir ramassé du petit bois tous ensemble. Ce sont des expériences de vie qui créent des souvenirs inoubliables. Les vacanciers sont à la recherche de ces moments de vie privilégiés à partager en famille ou entre amis.

Perspectives économiques et écologiques

Recourir à la neige de culture pour compenser le faible enneigement est compliqué d’un point de vue écologique (ressources en eau & image négative pour la station) et économique (coût énergie). 1m3 de neige de culture coûte 10 à 15€ ! Et techniquement, si les températures sont trop douces (au-dessus de 0°) et l’humidité inférieure à 20%, la neige de culture fond. Elle ne peut être qu’un complément à la neige naturelle.

En montagne, on compte plusieurs économies : remontées mécaniques, guide de montagne, loisirs de nature, bien-être….. Cette diversification, qui a commencé, doit s’accélérer. Il faut raisonner à minima sur 2 saisons maintenant. On va aussi à la montagne pour se détendre, se déconnecter, se reconnecter à la nature et à soi-même. Pour preuve, le succès des semaines Yoga du Club Med de Tignes cet hiver. Stratégiquement, le groupe a déjà pris le virage de la multi activités depuis plusieurs années.

La grande tendance du tourisme est de proposer un tourisme éco-responsable, loin du tourisme de masse (même s’il existera toujours plusieurs formes de tourisme…) avec une bonne gestion des flux touristiques. La Montagne est LA destination nature par excellence où le tourisme expérientiel peut s’accomplir pleinement.

L’inflation n’empêche pas certains Français de partir en vacances cet hiver. Les chiffres pour la saison d’hiver s’annoncent bons malgré ce début de saison compliqué à cause de la douceur météo, grâce notamment au retour des clientèles étrangères (25% des 10 millions de visiteurs montagne) et au souhait pour les Français qui peuvent, de profiter de la vie/de se faire plaisir dans un contexte anxiogène, à l’image du succès des DOM-TOM en décembre. 30% de ceux qui partent en vacances à la fin d’année vont à l’étranger ou dans les dom-tom (et ce, malgré l’augmentation des prix de 25% dans les Antilles et de 30% à la Réunion). Le secteur du tourisme reste dynamique avec notamment certaines destinations qui font le plein.

En conclusion, il y a encore des efforts à faire pour faire découvrir la nature en montagne. Le produit ski est fondamental mais il y a un véritable enjeu à mettre en avant la pratique d’autres loisirs sportifs ou les produits locaux…. Le ski ne doit pas être le seul produit pour les stations en moyenne altitude.

Il est essentiel de concilier préservation et valorisation de la montagne avec économie touristique. La qualité de l’expérience client doit être au cœur de toutes les stratégies. Il vaut mieux vendre un territoire et ses spécificités plutôt qu’une activité ! Virginie GENDROT, consultante Protourisme.

Chiffres clés :

  • Les vacances de fin d’année (noël et jour de l’an) = 25% du CA saison d’hiver
  • En dessous de 2000m, l’enneigement a déjà diminué de 20 à 40% depuis la fin des années 1980. A 1800m, il pourrait avoir 1 mois de neige en moins en 2040 (Source Météo France)
  • 120 000 emplois directs et indirects dont 20-25 000 saisonniers l’hiver 2020-2021 (55-60 000 saisonniers en année dite « normale ») > commerce, pistes/écoles de ski, restaurants… (source Dares)
  • 2 fois plus d’emplois saisonniers en hiver qu’en été
  • 10 millions de visiteurs par hiver en stations dont 25 à 30% d’étrangers selon les années
  • Ski = 82% du CA de la montagne (source Vie publique.fr)
  • 55 millions de journées de ski (derrière les USA et devant l’Autriche)
  • 64% pratiquent la marche, 59% le ski alpin, 47% de la luge (source DGE)
  • Activités les plus recherchées : 64% traineaux à chiens, 48% thermalisme/balnéothérapie, 44% raquettes (source DGE)
  • Seuls 10% des Français vont à la montagne en hiver pour leurs vacances. 53% des personnes interrogées par l’institut Ipsos en février 2022 déclarent ne jamais se rendre à la montagne en hiver. 34% des interrogés disent s’y rendre de temps à autre ; c’est une tradition pour seulement 10% des sondés qui y vont chaque année (source Ipsos)