Afin d’ éviter d’arriver dans la situation extrême de Barcelone où tout meublé de tourisme sera interdit d’ici 5 ans, il est primordial que les communes s’emparent du sujet avec habileté car le sujet est délicat. Non seulement le contexte législatif et la jurisprudence sont mouvants mais les recours sont nombreux tant les enjeux financiers sont importants. En effet, si certains habitants peinent à se loger dans certaines communes, la location saisonnière représente une manne financière importante qui permet aux habitants de financer des projets personnels (quand ce n’est pas une activité lucrative à part entière). Il y a donc un équilibre à trouver entre soutien de l’économie touristique en préservant les lits touristiques et soutien de l’habitat à l’année, gage d’une bonne acceptabilité du tourisme par les habitants. Mais comment ?

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1. Pourquoi réguler ?

Depuis quelques années, la régulation des meublés de tourisme s’est développée, d’abord dans les grandes métropoles puis dans les villes moyennes et maintenant, dans les stations littorales…. partout où les habitants peinent à trouver un logement disponible et accessible.

La pénurie de logement à l’année conditionne la capacité des employeurs à recruter, y compris dans des secteurs essentiels au maintien de la vie à l’année (santé, services, éducation…). Plusieurs facteurs expliquent cette situation : prix élevé de l’immobilier, parc de logement social saturé, taux important de résidences secondaires, quasi absence d’offre locative du parc privé et développement des meublés de tourisme. Il est quasiment impossible d’accéder à la propriété ou de louer un logement à l’année dans certaines communes comme Paris, Biarritz, St Malo ou encore dernièrement à Belle-ile-en-mer dans le Morbihan où le nombre de meublés de tourisme a été multiplié par 2 entre 2021 et 2023 !

Il convient donc de préserver l’habitat à l’année en encourageant les propriétaires à proposer des biens en location à l’année plutôt que quelques mois en saison à des personnes de passage. La régulation des meublés de tourisme vise à éviter un développement anarchique et incontrôlé des meublés de tourisme sur des territoires en tension au niveau de l’habitat. C’est pourquoi la proposition de loi 1176, dite « loi anti-airbnb », vise à corriger les déséquilibres du marché locatif en zones tendues. Elle été renommée en « proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale ». Un projet de loi en standby en raison du contexte politique actuel….

2. Mais attention au tourisme bashing

Pour autant, les touristes ne peuvent pas être désignés comme les seuls responsables de la crise du logement qui sévit partout en France. Oui, la location de meublés de tourisme est un problème sur certaines communes qui se vident de ses habitants au profit des touristes mais ce n’est pas le cas partout. La régulation des meublés de tourisme est un des leviers parmi d’autres pour régler le problème de la pénurie de logements en France. Les communes peuvent aussi produire des logements aidés, développer le parc social, instaurer la majoration de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, faire appliquer la taxe annuelle sur les logements vacants ou favoriser fiscalement le logement à l’année (projet de loi en cours). En 2023, le nombre de ménages en attente d’un logement social a atteint 2,6 millions, soit une hausse de 7,5% sur un an, tandis que le nombre d’agréments est « à son pire niveau depuis 2005 », selon l’Union sociale pour l’habitat (USH). Derrière les invectives « non aux meublés de tourisme » se cachent souvent un problème global de politique de l’habitat. Comme dit le vieil adage : « l’arbre ne doit pas cacher la forêt »…

Il y a un équilibre à trouver entre location saisonnière et vie à l’année car le meublé de tourisme est une forme d’hébergement très prisé par les touristes dans un contexte d’inflation et de baisse du pouvoir d’achat. De nombreux vacanciers choisissent en effet cette forme d’hébergement car ils n’ont pas les moyens de se tourner vers l’hôtellerie classique ou l’hôtellerie de plein air. Les meublés de tourisme représentent souvent une partie importante des lits touristiques d’une destination. Certaines destinations touristiques, dont le tourisme est l’économie principale, ne pourraient pas accueillir tous leurs visiteurs s’il n’y avait pas de meublés de tourisme, faute d’infrastructures hotellières suffisantes sur le territoire et à la rentabilité plus ou moins viable.

De plus, il ne faut pas oublier que la location saisonnière peut représenter des revenus complémentaires, voire substantiels pour des habitants qui ont besoin de financer des projets personnels (voyage, travaux, étude des enfants, retraite….). Ainsi, à Belle-ile-en-mer, 48% des propriétaires de meublés de tourisme en 2023 étaient des résidents principaux, des habitants à l’année. Lorsque nous avons accompagné les élus des 4 communes bellilois dans la mise en place des procédures de régulation de meublés de tourisme en 2023, nous avons pris soin d’identifier le profil des propriétaires de meublés de tourisme afin d’adapter les mesures de régulation et le plan de communication correspondant. Il ne faut pas se tromper de cible si on ne veut pas se tromper de message !

Interdire la location des meublés de tourisme n’est donc pas LA solution mais la régulation est UNE des solutions à disposition des élus locaux pour préserver l’habitat à l’année. Comme toute chose, il convient de gérer et réguler plutôt que d’interdire complètement.

3. Comment réguler ? Enregistrer, autoriser et compenser….

Le préalable à la mise en place des procédures de régulation est de prouver qu’il y a tension au niveau de l’habitat. La définition des zones tendues résulte de l’article 232 du CGI. Elle visait depuis 2013, les seules communes appartenant à une zone d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants et connaissant des difficultés sérieuses d’accès au logement. La liste de ces communes avait été établie par le décret 2013-392 du 10 mai 2013 modifié par le décret 2015-1284 du 13 octobre 2015. La loi de finances de 2023 a ajouté à cette définition les communes qui n’appartiennent pas à une agglomération de plus de 50 000 habitants, mais qui sont également confrontées à des difficultés particulières d’accès au logement en raison, notamment, d’une forte proportion de résidences secondaires. 2000 nouvelles communes ont ainsi été concernées. Autant de nouvelles communes pouvant prétendre à la mise en place des procédures de régulation des meublés de tourisme.

Les outils à disposition des communes sont :

  1. La procédure du numéro d’enregistrement : à partir du moment où une commune décide d’instaurer cette procédure via une délibération municipale, tous les propriétaires de meublés de tourisme ont l’obligation de s’enregistrer, qu’il s’agisse d’une résidence principale ou secondaire, d’un particulier ou d’une entreprise (SCI par ex), d’un logement entier ou d’une partie de logement. Tout le monde est concerné, quelle que soit la durée de location (1 nuit – 1 semaine – 1 mois/an). Pour obtenir ce numéro à 13 chiffres, les propriétaires doivent se déclarer en ligne (délivrance automatique et instantanée de ce numéro). La commune peut dans ce cadre, décider de limiter le nombre de meublé par foyer fiscal. A Belle-ile-en-mer par ex les élus des 4 communes ont décidé de limiter à 1 MT par personne maximum par commune, avec la possibilité d’avoir 2 MT si l’un des 2 fait de la location mixte cad touriste/travailleur saisonnier. La ville de Vannes a par exemple choisi de limiter à 2 MT par personne et d’introduire la notion de zonage, comme St Malo : 2 MT par personne sauf en centre ville (1 MT maximum), avec possibilité d’en avoir 3 si location mixte (cad touriste/étudiant). C’est à la commune de fixer les limites selon sa situation immobilière.
  2. L’autorisation de changement d’usage : la commune peut soumettre à autorisation préalable la location saisonnière via une délibération municipale. C’est le Code de la construction et de l’habitation, notamment ses articles L. 631-7, L. 631-7-1 A et suivants, et L. 651-2 qui permet de mettre en oeuvre cette mesure à destination des résidents secondaires et des habitants à l’année qui louent leur bien plus de 120 jours/an. La commune devra rédiger un règlement d’autorisation de changement d’usage soumis à l’approbation du conseil municipal.
  3. La compensation : la commune peut ajouter un niveau supplémentaire en demandant aux propriétaires de meublés de tourisme de compenser cad pour tout logement mis en location saisonnière, mettre un autre logement en location à l’année par exemple.

4. Les Ecueils à éviter

L’accompagnement juridique est important pour la sécurisation de la procédure. Il constitue également un appui dans le choix de mesures de régulation adaptées et proportionnées au regard des données relevant du diagnostic mais aussi des décisions de justice rendues en la matière.

Les recours contentieux devant le Tribunal administratif sont fréquents en cette matière, notamment à l’initiative de propriétaires individuels, de sociétés ou d’associations de propriétaires. Ces derniers peuvent également saisir le juge en référé pour demander en urgence la suspension du règlement. C’est ainsi que le Tribunal administratif de POITIERS a suspendu le règlement fixant les conditions de délivrance des autorisations de changement d’usage permanent et temporaire des locaux destinés à l’habitation et déterminant la compensation par quartier sur le territoire de la commune de La Rochelle (TA Poitiers, Ord, 24 janvier 2023, n° 2203181). Le Tribunal administratif de Grenoble a également suspendu l’exécution des délibérations du conseil communautaire de la communauté d’agglomération Grand Annecy ayant approuvé les règlements relatifs à la délivrance d’autorisations de changement d’usage de locaux d’habitation en meublés touristiques de courtes durées applicables sur le territoire de chacune de vingt-sept communes de la communauté d’agglomération (TA Grenoble, du 11-07-2023, n° 2302693).

Le juge du fond du Tribunal administratif de NANCY a annulé un article du règlement municipal de la commune de Strasbourg (TA Nancy, 25 avril 2023, n° 2200655).

Ces exemples démontrent que le règlement et la délibération qui l’adopte sont des actes juridiques à fort enjeu, dont la rédaction doit être précise et intelligible. L’attention de l’avocat est appelée à la fois sur la motivation de la délibération quant aux circonstances locales qui justifient les mesures prises (la pénurie de logements doit être démontrée) mais aussi sur l’énoncé des nouvelles règles qui viennent contraindre la location de meublés de tourisme.

Outre l’accompagnement juridique, nous recommandons vivement d’être également accompagné sur le volet communication. Il est tout aussi essentiel de bien communiquer pour éviter le moindre recours juridique. En effet, les communes qui décident de réguler doivent « porter à connaissance » de manière éligible et transparente les règles auprès des propriétaires concernés. Un défaut de communication peut annuler la procédure. En outre, plus la communication sera efficace et adaptée, plus les enregistrements seront nombreux. Il ne faut pas oublier qu’au-delà de limiter les locations saisonnières (via les mesures d’autorisation et de compensation), l’enregistrement obligatoire permet de mieux connaître son parc de meublés de tourisme (collecte taxe de séjour).

Le faire seul est possible mais conseillé de se faire accompagner pour éviter tout recours. C’est ce que la communauté de communes de Belle-ile-en-mer a choisi de faire en nous confiant l’ensemble de la procédure de septembre 2023 à août 2024 : diagnostic habitat pour prouver la tension au niveau de l’habitat, concertation/mise en cohérence des procédures de régulation avec la CC et les 4 communes & hébergeurs & propriétaires de MT, accompagnement juridique à la rédaction des documents nécessaires (règlement, délibération, pièces justificatives…), plan de communication et création des supports de communication, animation d’une réunion publique d’information aux propriétaires. Une mission rondement menée en 1 an avec des élus motivés et conscients des limites et des risques encourus.

Contact : vannes@protourisme.com

Partenaires : cabinet urbaniste EOL ; cabinets d’avocats Avoxa : agence d’une idée l’autre